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Jurisprudence : les crèches au tribunal

crecheLa jurisprudence devrait sérieusement refroidir les communes ayant pour habitude d’exposer une crèche à l’occasion des fêtes de Noël. Dans deux arrêts du 9 novembre 2016, le Conseil d’Etat a apporté quelques précieux éléments de réponse à ce sujet.


A Cholet, Bézier, La Roche-sur-Yon, Melun ou encore Paris, par le passé, mais aussi dans de multiples communes rurales et certains départements, nombreux sont les édiles à considérer qu’une crèche de Noël constitue une forme de tradition populaire.

 

Un point de vue cependant loin d’être partagé par toutes les juridictions administratives, comme en témoignait la décision de la Cour administrative de Paris rendue le 8 octobre 2015 (1). Dans cette décision, la juridiction parisienne a en effet condamné l’installation d’une crèche de la Nativité dans la cour de lʼHôtel de ville de Melun durant la période des fêtes de fin dʼannée 2012.  Rappelant que la loi du 9 décembre 1905 interdit expressément « dʼélever ou dʼapposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit (…) », la juridiction administrative a estimé qu’ « une crèche de Noël, dont lʼobjet est de représenter la naissance de Jésus, installée au moment où les chrétiens célèbrent cette naissance, doit être regardée comme ayant le caractère dʼun emblème religieux (…) et non comme une simple décoration traditionnelle ». Dans ce cadre, l’installation d’une crèche « dans lʼenceinte dʼun bâtiment public est contraire à ces dispositions ainsi quʼau principe de neutralité des services publics », en a conclu la Cour administrative d’appel de Paris.

 

Pour certaines juridictions administratives, une crèche de Noël constitue un emblème religieux illicite et non une simple décoration traditionnelle autorisée.

 

 

Mais dans le département de la Vendée, c’est un tout autre point de vue que défendait la Cour administrative de Nantes à l’occasion d’une affaire assez proche (2). La juridiction nantaise a ainsi considéré que l’installation d’une crèche dans le hall de l’hôtel du département de la Vendée, « compte tenu de sa faible taille, de sa situation non ostentatoire et de l’absence de tout autre élément religieux, s’inscrivait dans le cadre d’une tradition relative à la préparation de la fête familiale de Noël, alors même qu’elle ne se rattachait pas à un particularisme local ».

 

La notion d’emblème religieux prohibé dans les lieux publics varierait-elle donc selon les départements ? Une clarification devant le Conseil d’Etat semblait pour le moins s’imposer. Deux nouveaux arrêts du Conseil d’Etat en date du 9 novembre 2016 viennent d’apporter quelques précisions sur cet épineux sujet.CE


S’agissant en premier lieu de la crèche de la mairie de Melun, la Haute Juridiction administrative considère que « l’installation de cette crèche dans l’enceinte de ce bâtiment public, siège d’une collectivité publique, ne résultait d’aucun usage local et n’était accompagnée d’aucun autre élément marquant son inscription dans un environnement culturel, artistique ou festif ». En clair, une telle installation méconnait en l’espèce la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat (3).


Du côté de la crèche vendéenne en revanche, les sages du Palais Royal apportent une analyse bien plus subtile. Poursuivant son raisonnement, le Conseil d’Etat s’attache ainsi à rappeler que « l’installation d’une crèche de Noël, à titre temporaire, à l’initiative d’une personne publique, dans un emplacement public, n’est légalement possible que lorsqu’elle présente un caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d’un culte ou marquer une préférence religieuse ». Mais c’est surtout sur la notion d’ « emplacement public » que le second arrêt du Conseil d’Etat apporte d’importantes précisions (4).

Pour le Conseil d’Etat, l’installation d’une crèche est difficile à justifier dans l’enceinte d’un bâtiment public. Elle est en revanche concevable dans les autres espaces publics à condition de ne pas constituer un acte de prosélytisme.

 

Ainsi, « dans l’enceinte des bâtiments publics », une crèche ne saurait être autorisée en principe, sauf à pouvoir apporter la preuve de circonstances particulières.


En revanche, « dans les autres emplacements publics », le Conseil d’Etat estime parfaitement concevable l’installation d’une crèche, à la condition cependant de ne pas constituer « un acte de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse ».


Plus récemment, prenant acte de la jurisprudence du Conseil d’Etat du 9 novembre 2016, c’est le Tribunal administratif de Lyon qui vient de censurer le choix du président du Conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes d’installer une crèche dans l’Hôtel de Région (5). Relevant que, par le passé, aucune crèche n’avait été installée dans les locaux de la collectivité, la juridiction administrative précise que le fait que les santons soient réalisés par des artisans locaux, argument invoqué par la collectivité, ne saurait suffire à démontrer un quelconque « caractère artistique » susceptible d’autoriser son exposition.


En résumé pour les collectivités publiques, des crèches à Noël, oui pourquoi pas. Mais pas n’importe où.

 

C.R.

(article mis à jour le 17 novembre 2017)


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Notes

(1) Cour administrative d’appel de Paris, 8 octobre 2015, Fédération départementale des Libres penseurs de Seine-et-Marne, n°15PA00814. Télécharger la décision

(2) Cour administrative d’appel de Nantes, 13 octobre 2015, Département de la Vendée c/ Fédération de la Libre Pensée de la Vendée, n°14NT03400. Lire le communiqué.

(3) Conseil d’Etat, 9 novembre 2016, Fédération départementale des Libres penseurs de Seine-et-Marne, n°395122. Lire la décision.

(4) Conseil d’Etat, 9 novembre 2016, Fédération de la Libre Pensée de la Vendée, n°395223. Lire la décision.

(5) Tribunal administratif de Lyon, 5 octobre 2017, Fédération de la libre pensée et d’action sociale du Rhône, n°1701752. Lire le jugement; Tribunal administratif de Lyon, 5 octobre 2017, Ligue française pour la défense des droits de l’Homme et du citoyen, n°1609063. Lire le jugement.

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